top of page
Photo du rédacteurThomas Patris de Breuil

Tête-à-tête avec Adriana

Dernière mise à jour : 30 juin 2020


"La réponse européenne n’est pas adaptée"

Dans un contexte politique et sanitaire trouble, les camps de migrants ainsi que les travailleurs humanitaires sont en première ligne. Des camps surpeuplés aux conditions insalubres, sa vision de l'Europe, le parcours du combattant pour obtenir l'asile: Adriana, Field coordinator chez Samos Volunteers nous détaille la réalité du terrain.



Adriana, Peux-tu nous présenter en quelques phrases ton parcours et les raisons de ton engagement sur l’ile de Samos ?

Depuis octobre 2019, Je suis diplômée en développement international à l’université d’Amsterdam. J’ai commencé à venir en aide aux demandeurs d’asile sur le territoire européen au sein de Samos Volunteers. Quelques mois plus tard, je suis devenue coordinatrice d’équipe, poste avec de plus grandes responsabilités.

Le gouvernement grec impose un confinement aux camps de migrants jusqu’au 21 juin, comment les migrants vivent-ils cette épidémie ? La Grèce a plutôt été épargnée mais qu’en est-il des camps ?

Le gouvernement grec a prolongé le confinement jusqu’au 21 juin pour les demandeurs d’asile. Cette date fut repoussée plusieurs fois. Cette mesure fût vécue comme une politique discriminatoire car tous les magasins et restaurants ont réouverts. En parallèle, des mesures strictes ont été décrétées. Le couvre-feu entre 7h et 19h illustre ce phénomène. Les demandeurs d’asile s’exposent à des amendes et de fortes complications dans leur parcours administratif s’ils ne le respectent pas. Cela engendre un climat de tension permanente, les migrants deviennent des cibles. Des confrontations éclatent avec la police locale. C’est tout un ensemble de facteurs qui font que la situation est inflammable.

Dans les supermarchés, ils ont mis en place des doubles files. Une pour les locaux et une autre pour les demandeurs d’asiles. Une impression d’un autre temps… Celui de l’apartheid.


A l’heure de l’apéritif, pendant que la population sirote sa Mythos fraîche, la police ratisse la promenade du bord de mer pour évacuer, à l’aide de puissants mégaphones, les migrants des espaces publics "Back to the camp".Cette politique discriminatoire n’a objectivement pas de motif médical car pourquoi le camp serait plus confiné que les autres espaces de la ville ?

Quelle est ton quotidien au sein du camp de Samos ?

Nous n’avons pas de journée type, les choses changent vite. Les volontaires s’adaptent en fonction du terrain et de ce qui s’y passe. Cependant mon rôle de coordinatrice d’équipe impose un certain rythme. Tous les jours, des activités sont organisées pour les demandeurs d’asile. Des cours de langue aux activités plus récréatives, c’est tout un éventail de dispositifs qui est mis en place. Des formations et des sessions d’informations sur les démarches administratives à faire sont aussi au cœur du quotidien. Nous accueillons des demandeurs d’asile 6 jours par semaine. Je m’occupe aussi de la formation des volontaires, de les accueillir et de leur présenter les différentes activités.

Une autre facette du job est de préparer des formations constructives, des meetings de coordination et de gérer le planning de l’équipe.

Quelles sont les freins (administratifs, sanitaires, politiques) auxquelles tu es confrontée ?

L’hostilité de la population locale envers les ONG et les travailleurs humanitaires.

Des maisons de volontaires sont vandalisées, les situations de harcèlement sont de plus en plus nombreuses. Dernièrement, la voiture d’une infirmière a été brulée. Ces problématiques sont plus visibles à Lesbos que sur l’ile de Samos. Le camp de Samos est juste à côté de la ville et donc de la population locale. Il y a une nécessité de cohabitation et de mieux vivre-ensemble.

Sur le plan sanitaire, les mesures anti-covid sont de réels freins au sein du camp car nous n’avons reçu aucune autorisation claire du gouvernement grec pour reprendre nos activités. Les interdictions ne sont pas non plus spécifiées. On nage en eau trouble depuis la pandémie.

Sur le volet administratif, les règles émises par le ministère des finances et de l’immigration sur le rôle des ONG sont très strictes. Elles doivent s’enregistrer officiellement auprès du ministère de l’immigration. Ces procédures interminables empêchent les ONG de moindre envergure de faire face aux coûts administratifs que représente la gestion d’une telle structure. La création de nouvelles ONG en soutien aux demandeurs d’asile s’apparente à un parcours du combattant. Amnesty international s’est exprimé sur le sujet en déclarant que le gouvernement grec cherchait à décourager les ONG de s’installer et de travailler. La stratégie de l’usure est celle choisie par le gouvernement. Faire traîner pour décourager, telle est la doctrine.

Quel est le process type d’un demandeur d’asile quand il arrive sur un des hot spots ?

La première étape est l’arrivé par « bateau de fortune » dans les eaux grecques pendant la nuit. Les gardes cotes vont les chercher et les ramène sur la terre ferme.

Commence la procédure d’enregistrement officiel. Déclinaison de l’identité, trouver un logement dans le camp etc… En fonction de leur profil (femme enceinte, mineurs non accompagnés, maladies chroniques), la probabilité d’être transféré vers Athènes est plus élevé. Les demandeurs d’asile transférés vers la capitale sont installés dans des conditions plus humaines. Dans la pratique, les transferts sont rares car le processus administratif est un parcours du combattant.

Combien de temps se passe en moyenne entre l’arrivé d’un demandeur sur un hot-spot et ses rendez-vous pour des demandes d’asile ?

Un demandeur d’asile peut attendre jusqu’à 6 mois avant la première étape de son parcours administratif et jusqu’à 1 an avant son premier contrôle médical. Une fois ces 2 étapes surmontées, le 2ème entretien clôture la demande d’asile. Si la demande est rejetée, des recours sont possibles mais entre temps, des années entières ont passé.

Globalement, un migrant peut attendre 3 ans avant d’avoir d’une réponse et un mineur non accompagné 1 an. Il n’y a pas d’uniformité du délai d’attente.


Les mécanismes de relocalisation des demandeurs d’asile ne semblent pas avoir bien fonctionnés ? L’Europe dans son ensemble a-t-elle joué le jeu ?

L’accord avec la Turquie en 2016 a engendré un nombre plus important d’arrivée de migrants de la mer Egée que de transferts vers Athènes. Les camps sont surpeuplés, les relocalisations sont extrêmement compliquées car quand un demandeur d’asile arrive dans l’espace européen, il doit faire sa demande d’asile dans le pays européen par lequel il est arrivé, bien souvent l’Italie, Malte et bien sûr la Grèce. Ces pays se retrouvent en première ligne et sont bien souvent délaissés par leurs partenaires européens. Est-ce que l’Europe a joué le jeu ? la réponse est très contrastée.

Certes, l’UE a relevé le défi de minimiser l’impact de la crise migratoire sur l’ensemble des États-Membres mais elle a échoué en tant que gardienne de la dignité humaine et des valeurs européennes.


Le mot « Union » est essentiel car il ne représente absolument pas la politique de solidarité européenne. La dignité humaine des migrants est bafouée. La réponse Européenne n’est pas adaptée, les mécanismes de solidarité n’existent pas. L’UE n’est pas seulement une union de droit mais aussi une union politique et monétaire. Pour l’instant seuls quelques pays européens sont perturbés par la problématique migratoire. On a créé une zone de cauchemar pour protéger l’Europe. A un moment donné, il faut se poser les bonnes questions. Quel est notre projet européen pour l’avenir ?

Posts récents

Voir tout

Comentarios


bottom of page