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Photo du rédacteurThomas Patris de Breuil

Tennis français : le nouveau village Potemkine

Afin de masquer la pauvreté des villages lors de la visite de l’impératrice Catherine II en Crimée en 1787, le ministre russe de l’époque Grigori Potemkine aurait érigé de luxueuses façades en carton- pâte. Le village Potemkine faisait office de trompe l’œil afin de masquer la misère de la population.


Avec leur quatre mousquetaires (Simon, Gasquet, Tsonga, Monfils) le tennis français a longtemps eu son « village potemkine ».Trompe l’œil, gâchis, pauvreté du bilan. Autant de qualificatifs peu élogieux sur le bilan du tennis français depuis le début des années 2000.


Hormis quelques magnifiques coups d’éclats de Caroline Garcia, les occasions de se réjouir des progrès du tennis français dans son ensemble sont rares. Voir les secondes semaines de Grand Chelem est devenu un luxe pour la cohorte française.

Malgré une volonté certaine, Benjamin Bonzi, Hugo Gaston et Ugo Humbert n’ont pas cette constance dans les résultats qui leurs permettraient de passer ce fameux « cap ». La relève semble bien tendre.


Unanimité sur le constat d’échec global du tennis français mais beaucoup moins sur les raisons. Gilles Simon dans son bouquin sorti en novembre 2020 « Ce sport qui rend fou » dresse un constat cinglant sur l’incapacité du monde du tennis français à produire des champions. Cadre trop étriqué, formation des joueurs pas assez « sur mesure », carences mentales etc. Tous ces arguments indiscutables sont une partie de la réponse mais d’autres éléments peuvent s’ajouter à cette réflexion. La culture de l’exigence est au cœur du sujet.


La culture de l’exigence


Il est possible de trouver 1 milliard d’excuses pour expliquer cet échec global mais comment ne pas évoquer ce décalage permanent entre leur statut de « très bons joueurs » et leurs résultats effectifs. Illustre exemple avec Monfils après sa défaite en ¼ de finale à L’open d’Australie 2022 contre Berrettini « Encore une fois, je n’ai pas réussi à prendre la bonne décision, à bien gérer le momentum pour pouvoir escalader une montagne. A l’arrivée, encore une fois je suis moins fort… Je suis moins fort tennistiquement, physiquement, mentalement. Pourtant je suis bien ! Mais j’ai été moins fort encore une fois et je le suis depuis dix-huit ans ». Toute sa carrière, loin d’être mauvaise, se reflète à travers cette déclaration.


Pourquoi un joueur ne pourrait pas progresser tout au long de sa carrière ? Nadal a bien révolutionné son service pour en faire une arme essentielle, Djokovic a modifié son régime alimentaire sans gluten « Ma carrière a décollé à ce moment-là », le travail mental remarquable de Federer, devenu une véritable machine de guerre qui a su masquer ses nombreux énervements de débuts de règne. Tous les grands joueurs progressent sur des aspects de leur jeu. C’est moins flagrant chez nos quatre mousquetaires et plus généralement dans le tennis français.


15 ans que Gasquet a des « interrogations sur son physique », 15 ans d’inconstance de Monfils, 15 ans que Simon défend 4 mètres derrière sa ligne sans prendre de risque. Sans être trop dur, seul Tsonga donne l’impression d’avoir atteint pleinement son potentiel. 1 finale de Grand Chelem + 5 demi-finale +2 Masters 1000. Une bien belle carrière pour celui qui n’était pas considéré comme le plus talentueux de sa génération. Par-delà l’exigence, la notion de travail n’est jamais loin.


Dans un entretien à Tennis Magazine en juin 2017, l’ancien président de la FFT Bernard Guidicelli remettait les pendules à l’heure après un énième échec à Roland Garros. « Il faut que les Français aient les yeux en face des trous et qu’on arrête de se prendre pour ce qu’on n’est plus. Il faut se remettre au boulot de façon très modeste ». Toujours compliqué de quantifier la quantité de travail nécessaire mais cette vilaine impression du joueur de tennis français qui n’exploite pas pleinement son potentiel. Rageant.


La quantité au détriment de la qualité


« La France compte plus d’un million de licenciés, l’Espagne 100 000 et la Suisse 50 000, nous avons une des fédérations les plus riches du monde et nous n’avons gagné qu’un seul Grand Chelem chez les hommes depuis la Seconde Guerre mondiale et pas beaucoup plus chez les femmes » explique Gilles Simon dans son bouquin. Ajouter à cela la poule aux oeufs d’or (Roland-Garros) qui génère 85% des ressources de la FFT, difficile d’être indulgent.


La fédé se repose depuis une quinzaine d’années sur le nombre de joueurs français dans le top 100. Ils étaient une dizaine en 2018. Tout le monde s’extasiait devant cette « réussite » au détriment d’un réel accompagnement tactique, physique et physiologique des joueurs. La théorie du nombre ne fait pas des champions…


Quand un modèle ne marche pas, pourquoi ne pas avoir l’humilité de chercher des solutions extérieures ? Pourquoi Patrick Mouratoglou n’occupe pas un rôle de premier plan au sein de la fédération ? Entraineur de Serena Williams depuis 2012, 9 titres sur 18 participations en grand Chelem depuis qu’ils collaborent. Des résultats fructueux avec Tsisipas et Dimitrov, deux autres de ses poulains. Il ne se résume pas simplement au coaching, Mouratoglou c’est aussi une académie mondialement connue, une société de management sportif, un homme de médias et un réformateur ( création de l’ultimate Tennis Showdown). CV intéressant quand une instance a besoin de réinventer.


Un modèle à repenser ?


« La norme ce n’est pas Roger, ce n’est pas Rafa ». Gilles Simon dénonce la vision trop normative de la formation à la française et un environnement pesant sur les jeunes joueurs. Seule une façon de jouer trouverait grâce auprès des coach français. Jouer le maximum en avançant, attaquer rapidement dans l’échange et ne jamais douter sont quelques composantes du « moule » façon FFT. Tout le monde a sa part de responsabilité dans cet échec. Du président de la fédération aux diffuseurs, le tennis français s’est longtemps gargarisé de son soi-disant succès.


Chaque mois de mai, c’est le même refrain. Pléthore de consultants défilent sur les plateaux de France TV pour ne rien dire, ne rien expliquer, ne rien dénoncer. Tout le monde se tait, la soupe est bonne. Chacun à son petit poste bien établi. Dès qu’un intervenant tente une explication au fiasco, il subit les remontrances du microcosme tennistique français. Henri Leconte avait essayé il y a quelques années, mal lui en a pris. La collusion médias-fédé est trop importante, tout le monde se connait, se lèche les pieds. Le cocooning bat son plein.


La transition junior- senior


Nombre de juniors français ont cartonné chez les juniors pour mieux se heurter aux difficultés du monde pro. Geoffrey Blancaneaux, Alexandre Sidorenko, Morel etc… Tous vainqueurs d’au moins un Grand Chelem junior et tous disparus des radars depuis. L’accompagnement des jeunes français au plus haut niveau n’a pas été efficace sur plusieurs aspects. Physique, psychologique et médiatique. Ces composants de la post formation sont autant de pistes d’études que de remise en cause.


Pour l’ancien directeur technique national Pierre Cherret, les jeunes pousses ne sont pas suffisamment préparés à rentrer dans le monde professionnel. « On les entraîne physiquement, tennistiquement, ils sortent tous avec le bac, mais est-ce qu’on leur apprend leur métier ? Comment appréhender les médias, c’est quoi une structure, un agent, le circuit ATP, les difficultés que tu vas rencontrer ? Aujourd’hui ça n’a jamais été fait. J’en ai parlé avec Tsonga, il m’a dit "dans ma formation, quand j’ai débarqué dans le monde pro, je n’étais pas du tout armé face aux médias, face à un agent". On est en train de le mettre en place. »


Prépondérante pour un jeune joueur, la préparation mentale devient un véritable cheval de bataille selon Pierre Cherret. « Aujourd’hui on est en train de déployer tout un département de préparation mentale qui va du petit jusqu’au junior. A chaque âge il y a des choses à apprendre, sur l’état d’esprit, sur la concentration. J’espère que je n’entendrais plus jamais cette phrase des coachs étrangers qui disent à leurs joueurs "tu joues un Français, accroche-toi jusqu’au bout, parce qu’à un moment il va se passer quelque chose" ».


Viser les ATP 500


Le discours est le même que pour les clubs français de foot dans les compétitions européennes, commencez par bien figurer en Europa League et vous penserez à la champion ’s plus tard. Bien figurer ou remporter des 500 seraient déjà de belles réussites. Richard Gasquet avec ses 15 titres ATP 250 pour 0 ATP 500 et 0 master 1000 , Gilles Simon avec ses 14 titres dont 1 seul 500 ou encore Gael Monfils avec ses 3 ATP 500 sur 11 titres font pâle figure. Tant que la soupe est bonne, le village Potemkine continuera de danser.

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